dimanche 22 mai 2016

Un ambassadeur dans la tourmente

publié le 19 mai dans
Boulevard Extérieur

Un ambassadeur pris dans la tourmente de la révolution tunisienne, voilà l’histoire que nous conte Pierre Ménat, à la tête de notre représentation diplomatique dans ce pays de 2009 à 2011. Le haletant récit des quelques semaines, entre décembre 2010 et janvier 2011, où tout a basculé en Tunisie, avec l’épilogue du départ de l’ambassadeur de France en février, est un morceau d’anthologie à lire par ceux qui s’intéressent à l’histoire de cette crise et tout simplement à la diplomatie. Pierre Ménat aurait pu à cette occasion régler ses comptes avec les observateurs qui l’ont accablé, comme avec les responsables qui ont détourné vers lui, et vers les diplomates en général, les coups qui les visaient. Rien de tel dans ces pages, au contraire une retenue sans défaut, avec le souci de comprendre, et souvent d’excuser. Au lecteur, donc, le soin d’élaborer son propre jugement sur les faiblesses des uns et des autres, mais aussi sur la bonne tenue de plusieurs, qui apparaissent par petites touches dans les portraits en situation tracés par l’auteur.

Un point est clair en tous cas. Le reproche d’aveuglement fait à Pierre Ménat n’a pu être lancé qu’en tronquant ses commentaires sur le dernier discours du dictateur au pouvoir. On se souvient d’un article du Monde avançant ce reproche sur la base d’extraits d’un télégramme rédigé aussitôt après l’allocution de Ben Ali prononcée le 13 janvier 2011, la veille de sa fuite. Ce dernier, avançant qu’on l’avait « trompé », annonçait alors la dissolution du Parlement, la tenue d’élections libres, et son intention de ne pas se représenter en 2014. L’Ambassadeur écrivait, non sans bon sens, que le Président avait « sans doute joué sa dernière carte ». Il poursuivait en disant : « si cette allocution ne produit pas les effets escomptés, on ne voit plus quelle ressource resterait au Président Ben Ali » et concluait ainsi son développement : « le discours de ce soir laisse espérer une sortie de crise. Mais il faut encore qu’il y ait jonction entre la parole du Chef de l’État et la perception qu’en a un peuple très en colère ». Ce n’était donc pas si mal vu.

Sur cette période, plane en outre le reproche lancé à l’Ambassadeur de France de ne s’être pas intéressé à l’opposition tunisienne quand elle était isolée ou persécutée. Sur ce point, Pierre Ménat apporte nombre d’éléments factuels – prises de contact, démarches…- faisant pièce à ce jugement. Mais il est vrai qu’il n’était pas simple dans la Tunisie de Ben Ali de nouer des relations suivies avec des membres de l’opposition. Qui a servi auprès de régimes autoritaires peut témoigner de la complexité de ce genre de situation. Les opposants sous surveillance y craignent en effet, à juste raison, de se voir accusés de servir une puissance étrangère, pire encore s’il s’agit d’une ancienne puissance coloniale.

Quant à l’analyse de la situation politique et sociale, Pierre Ménat, comme d’ailleurs les diplomates français qui suivaient alors les affaires tunisiennes, percevait et rapportait comme il se devait les tares et les fragilités du régime. Mais ces analyses n’intéressaient que faiblement à niveau politique, où la dictature tunisienne menait un travail intense de relations publiques. Notre Président de la République ne se vantait-il pas alors d’en savoir plus sur la Tunisie par la femme d’un de ses ministres que par tous ses diplomates ? Les archives, lorsqu’elles s’ouvriront, rendront justice à un personnel décrié.

Avant d’en arriver à la période dramatique qui culmine dans la dernière partie de son livre, Pierre Ménat rapporte, pour notre plus grand intérêt, quelques épisodes éclairants sur des difficultés du métier d’ambassadeur, notamment lorsqu’il se trouve pris en ciseaux entre les lignes divergentes du ministre de l’époque, Bernard Kouchner, et de la cellule diplomatique de l’Élysée. Il signale en passant qu’il n’a été reçu par le Chef de l’État qui l’avait pourtant nommé à Tunis ni avant son départ, ni durant sa mission, ni après son retour. C’est alors qu’il livre un sentiment sans doute partagé par d’autres ambassadeurs à tel ou tel moment de leur carrière : « ne disposant ni de la durée, ni d’une absolue confiance, je devais agir comme à tâtons. »

Pierre Ménat consacre enfin une importante partie de son ouvrage au quotidien de son ambassade dans ses différentes dimensions : politique, culturelle, économique et de coopération. Le récit s’assortit de nombreuses mises en perspective sur les expériences antérieures de l’auteur au cœur des affaires européennes, soit au Quai d’Orsay soit auprès du Président Chirac, ou encore à la tête des ambassades de France en Roumanie et en Pologne. Au total, l’ouvrage offre à ceux qui s’intéressent aux relations internationales un témoignage exceptionnel, ouvrant l’accès au vécu du métier d’ambassadeur, avec ses défis, ses risques, ses servitudes côtoyant sans cesse ses meilleurs moments. 


Pierre Ménat « Un ambassadeur dans la révolution tunisienne », L’Harmattan éd.,Paris 2015, 23 €

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