mercredi 31 octobre 2012

Iran nucléaire : le temps d'en sortir?


(publié dans lemonde.fr du 31 octobre 2012)

Dix ans déjà que s’étire la crise nucléaire iranienne, depuis la découverte en 2002 du site d’enrichissement de Natanz. Dix ans ponctués d’annonces sur l’imminence de la bombe iranienne, ponctués aussi d’espoirs éphémères, à chaque vague de sanctions, de voir la république islamique mettre un genou à terre.

Cette politique a-t-elle au moins retenu l’Iran d’accéder à la bombe ? L’on sait à présent que les dirigeants iraniens ont arrêté fin 2003 leur programme militaire clandestin. Était-ce déjà l’effet des pressions internationales ou parce que la menace nucléaire de Saddam Hussein venait de disparaître, et que l’Iran espérait alors renouer avec l’Europe et l’Amérique ? Peu importe. l’Iran a depuis durci ses positions, peut-être relancé des études à finalité militaire, et surtout accumulé une dizaine de milliers de centrifugeuses ainsi que des stocks d’uranium légèrement ou moyennement enrichi pouvant alimenter la fabrication de quelques bombes. Il est, en théorie, à un, deux ou trois ans de la possession de l‘arme nucléaire. En ce sens, pressions, sanctions et guerre de l’ombre n’ont pas abouti. Malgré un blocus financier à peu près généralisé, le pays reste sourd aux injonctions du Conseil de sécurité, notamment sur la suspension de ses activités d’enrichissement. S’il fallait encore faire monter la pression, il n’y a plus guère que la force ouverte.

À force de se jauger mutuellement depuis dix ans, chacun connaît pourtant les contours du compromis qui éviterait le pire : acceptation par le monde extérieur des activités d’enrichissement de l’Iran – acquis inaliénable pour n’importe quel régime à Téhéran – mais à un niveau plafonné à 5 %, suffisant pour les usages industriels, et loin des hauts enrichissements d’intérêt militaire ; application des contrôles de l’AIEA sur l’ensemble du territoire iranien et non plus sur les seules installations déclarées ; engagements juridiques et techniques concernant les flux et le conditionnement de l’uranium sous tous ses aspects pour en rendre encore plus difficile le détournement ; renonciation à toute filière plutonigène qui ouvrirait une seconde voie d’accès à la bombe ; et de l’autre côté, levée progressive des sanctions, clôture du dossier par le Conseil de sécurité, reprise d’une coopération dans les applications clairement civiles du nucléaire. Sur tous les points à la charge de l’Iran, ses dirigeants ont déjà laissé entendre, à un moment ou à un autre, qu’ils pourraient les accepter.

Côté américain, le compromis paraît à portée de main, si Obama reste à la Maison blanche. Celui-ci avait d’emblée manifesté le souhait d’en finir avec cette crise. Il en a été empêché par des jeux de politique intérieure, par la pression du gouvernement israélien, et par le comportement du régime iranien. Mais, avec Hillary Clinton, il a déjà fait comprendre qu’il pourrait s’accommoder d’une capacité d’enrichissement bien encadrée, une fois la confiance établie sur la finalité pacifique du programme nucléaire iranien. C’est le point essentiel.

Et côté iranien, la situation est maintenant favorable. Ahmadinejad, en fin de mandat, n’est plus une nuisance. Ali Khamenei, le Guide de la révolution, tient, plus que jamais, toutes les cartes en main. Il n’aurait pas à partager le succès d’une négociation. Depuis vingt-trois ans à son poste, il doit aussi songer à préparer une succession qui ne soit pas inextricable. Pour lui, et pour la génération qui arrive aux responsabilités, le modèle chinois, combinant contrôle politique et progrès économique, a tous les attraits. Les gardiens de la révolution, qui se sont vu confier des pans entiers de l’économie, sont conscients qu’il leur faut, pour faire prospérer leurs entreprises, sortir de l’autarcie. Le régime combine la fierté d’avoir su résister à trente ans d’hostilités, et l’envie de tourner la page si une occasion honorable lui est offerte.

Mais il y a encore une difficulté. Le compromis dessiné préserve en effet les moyens de l’Iran de lancer, s’il le décidait, la fabrication d’une arme nucléaire. Or cette perspective est inacceptable pour les dirigeants d’Israël. Comme acteurs incontournables de la région, il faut aussi les entendre. Ils voient que la préservation de l’État hébreu passe par le maintien d’un flux d’arrivants et par le choix renouvelé de sa population, d’une génération à l’autre, de demeurer sur cette terre durement conquise. Mais avec l’érosion de l’esprit pionnier, et si l’environnement se chargeait trop de menaces, l’inquiétude pourrait se répandre, et germer les tentations de s’en aller; le flux des arrivants pourrait se tarir. D’où, faute de la tranquillité d’une paix durable, la recherche d’une suprématie militaire sans partage. D’où le maintien d’un arsenal nucléaire. D’où la mobilisation contre tout voisin hostile qui pourrait s’approcher de l’arme atomique.

Tout se trouve ainsi lié et l’on comprend qu’un compromis avec l’Iran ne prendra racine que si ses parties prenantes s’investissent aussitôt dans la baisse des tensions régionales. Avec le départ d’Ahmadinejad, l’on peut espérer que l’Iran abandonnera, sinon ses positions de principe sur la légitimité de l’État hébreu, du moins la rhétorique haineuse qui les accompagnait. Naguère, après avoir dit leur refus de reconnaître Israël, les dirigeants iraniens ajoutaient mezza voce qu’ils ne s’opposeraient pas à la solution qu’accepteraient les Palestiniens. Ce serait un premier progrès de revenir à cette ligne. Encore faudrait-il que cette solution se dessine. La question de l’évolution du Hezbollah, aujourd’hui soutenu et armé par l’Iran, devrait être posée dès le débouché, quel qu’il soit, de la crise syrienne. En somme, le compromis possible sur le programme nucléaire iranien est à aborder, non comme une fin, mais comme un commencement.