dimanche 3 août 2008

Un Tintin suisse à la découverte de la Chinafrique

Serge Michel est le journaliste suisse à qui nous devons l'inoubliable "Bondy Blog"(Seuil, 2006). Après l'embrasement des banlieues provoqué en 2005 par le ministre de l'intérieur que nous savons, il s'était fait envoyer par son magazine "l'Hebdo" de Lausanne à Bondy (93), y avait loué un appartement, y avait séjourné plusieurs semaines, puis organisé une noria d'autres journalistes du même magazine pour décrire au jour le jour, comme des correspondants en terre lontaine, le monde étrange (mais aussi familier) qui l'entourait : monde inconnu des Français, à commencer par la presse française. Serge Michel racontait alors comment ses amis journalistes parisiens lui avouaient n'avoir jamais pensé à franchir le Périphérique pour aller explorer les terres inconnues qui se trouvaient au-delà.

Le voilà maintenant installé à Dakar. Il n'a rien perdu de sa curiosité et vient de publier avec Michel Beuret, chez Grasset, un livre sur Pékin à la conquête du continent noir : "la Chinafrique". A lire absolument par ceux qui s'intéressent à cette autre banlieue, proche puis grande banlieue, qu'est l'Outre-Méditerranée. Les deux auteurs, s'aidant du photographe Paolo Woods, ont circulé dans une douzaine de pays de la région, allant de l'Algérie à l'Angola. Ils en ramènent un étonnant tableau de la pénétration chinoise, de son ampleur, de ses multiples formes, de ses méthodes qui la font souvent réussir là où tant d'autres se sont découragés (pas toujours quand même, à lire l'abandon, du jour au lendemain, de la reconstruction d'une ligne de chemin de fer en Angola).

Et nos auteurs sont aussi allés en Chine. Ils se sont rendus à Yiwu, ville parfaitement inconnue de la province du Zhejiang, où se trouve le plus grand marché de pacotille en gros du monde, qui inonde de jouets, de plastiques, de copies en tous genre la terre entière : 34.000 boutiques, 320.000 produits référencés, 3.400 tonnes de fret quotidien. Ils sont allés à Chongqing, en Chine centrale, la plus grande ville de la planète, avec 31 millions d'habitants, par où transitent beaucoup de ces paysans et ouvriers qui vont tenter leur chance dans ce nouveau Far West qu'est pour eux l'Afrique.

Ils ont aussi assisté au sommet Chine-Afrique de Pékin, en 2006, réunissant autour du Président Hu Jintao une litanie de 48 dirigeants africains venus rendre hommage à l'Empereur, un empereur qui les arrose de bienfaits, et en a annoncé de plus grands encore.

Est-ce à dire que l'Afrique va devenir chinoise, mieux et plus profondément qu'elle n'a été anglaise ou française? Un échec n'est pas exclu, estiment nos auteurs. Mais il s'agit encore de politique fiction. Serge Michel et Michel Beuret concluent ainsi : "Pour nous qui avons parcouru l'Afrique chinoise en tous sens, le seul véritable échec de la Chine, s'il faut en voir un, c'est peut-être qu'elle se banalise en Afrique après avoir incarné le partenaire providentiel et fraternel, capable de tous les miracles. A certains égards, elle commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s'enlisent, ses scandales de corruption et quoi qu'elle en dise, son mépris, parfois, pour la population locale."

"Pour le reste, la Chine a pris les besoins africains à bras-le-corps et posé enfin les bases d'un développement avec des dizaines de projets d'infrastructures sans lesquels rien ne se fera jamais, en particulier les voies de communication et la production d'électricité. Petit à petit, le message passe que l'Afrique n'est pas condamnée à la stagnation. La Chine n'est pas désintéressée, bien sûr, et personne ne prête plus attention à son discours sur l'amitié, mais les efforts qu'elle déploie pour atteindre ses objectifs offrent à l'Afrique un avenir inconcevable il y a seulement dix ans..."

"...Du coup, la balle est dans le camp des dirigeants africains. Ils ont désormais les moyens de leurs ambitions : jamais un bailleur de fonds n'avait avancé des sommes pareilles, sans condition, sans tutelle. Seront-ils à la hauteur, pour utiliser ces fonds plutôt que pour doubler la taille de leur parc immobilier en France? A Pékin, lorsque le président chinois Hu Jintao a prononcé les montants exorbitants qu'il s'apprêtait à mettre à disposition de l'Afrique, quelqu'un à côté de nous a murmuré : "à présent, il va falloir que nos chefs se montrent sages, très sages."

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