mercredi 28 mai 2008

petite chronique du Soudan

Curieux comme le fait de passer quelques jours seulement dans un pays vous donne accès à une compréhension que mille pages de lectures ne vous apporteront jamais. Ou mieux, comme ils donneront le souffle de la vie aux pages que vous lirez sur ce pays après en être rentré.

Bien sûr, en quelques jours l'on n'a pas tout compris. Mais on a eu au moins accès à un premier niveau de vérité, qu'il appartient ensuite d'approfondir. Car ces quelques jours, par l'air, la lumière, les odeurs et les couleurs, l'allure des rues, des maisons et des gens, vous font accéder, même brièvement, à une expérience globale, mobilisant tous les sens et tous les affects, à la différence de l'approche analytique de la lecture, ou même de l'approche fragmentée de la photo et du cinéma.

Et donc, quand on a eu un tel contact, comme on voit tout de suite dans les récits, dans les romans où ce que l'on a visité apparaît, que l'auteur est vraiment allé à tel ou tel endroit, ou qu'il s'est simplement inspiré de récits de géographes et de voyageurs!

Tout ceci pour parler un peu du Soudan, où je viens de passer précisément cinq jours, d'ailleurs sans être sorti de Khartoum et de la ville voisine d'Omdurman, sur l'autre rive du Nil. Ceci sur la recommandation de l'ambassadrice, qui jugeait la campagne peu sûre à quelques jours des combats qui avaient conduit à la défaite dans les rues d'Omdourman d’une colonne de combattants du Mouvement pour la justice et l'égalité, de tendance islamiste, venue du Darfour à l’issue d’une chevauchée d’un millier de kilomètres.

C'est grâce au Nil d'ailleurs que les insurgés, montés sur des pick-up Toyota, n'ont pu atteindre le coeur du pouvoir à Khartoum, faute de parvenir à franchir les ponts qui les auraient conduits sur l’autre rive. Et c’est ainsi que nous avons pu visiter sur un grand terrain vague d’Omdurman l’exposition des dépouilles des vaincus : carcasses de véhicules calcinés, pour l’essentiel, fièrement présentées à la population locale par l’armée victorieuse.

En vrac, pour ceux qui seraient prêts à s'intéresser à ce pays lointain.

C'est d'abord, en superficie, le plus grand pays d'Afrique, cinq fois la France, juste un peu plus grand que le Congo ex-Zaïre. Il compte 40 millions d'habitants (15 millions en 1970), dont sept dans l'agglomération capitale (paraît-il la plus chaude du monde…).

C'est un pays où s'est joué au XIXème siècle, et où se joue encore, une sorte de "Grand jeu" entre puissances tutélaires de la région : Angleterre, France, Etats-Unis, Russie, et Chine aujourd'hui. Sans parler du rôle de l'Egypte, évidemment fort attentive à tout ce qui concerne le débit du Nil, question vitale pour elle. Grand jeu dont l'échiquier croise monde arabe et monde noir, Islam et chrétienté, pasteurs et sédentaires, anglophonie et francophonie. Grand jeu dont les enchères sont brusquement montées avec la découverte de pétrole en plein coeur du Soudan, entre Nord et Sud. Grand jeu dont il n'est pas exclu qu'il débouche un jour sur un éclatement du pays.

Côté Darfour, il n'est pas inutile de mettre l’actualité en perspective en se souvenant de l'histoire conflictuelle de cette province. Royaume indépendant jusqu’à la fin du XIXème siècle, rattaché seulement en 1899 au Soudan anglo-égyptien, et encore de façon fort théorique, puisque son Sultan se rallie à l’Empire Ottoman durant la Première guerre mondiale et se révolte contre les Anglais. Et avant la crise actuelle qui commence en 2003, il y avait déjà eu les durs affrontements des années 1983-1988, là encore sur fond de sécheresse et de famine.

Côté sud, l’on attend maintenant avec anxiété l’application de l’accord de 2005 entre Sud et Nord, qui prévoit un référendum d’autodétermination en 2011. Sera-t-il mieux appliqué que l’accord de paix de 1972, qui tentait de mettre fin à une guerre civile née dès 1955, à la veille de l’indépendance du Soudan ? Rappelons, là encore, l’ancienneté de la volonté d’autonomie sudiste, appuyée sur la politique anglaise qui avait donné dès 1919 un statut particulier aux provinces du Sud, chrétiennes et animistes, avec pour objectif avoué de les protéger des Arabes musulmans.

Et la communauté française dans tout cela? on la retrouve dans les ONG, dans les organisations internationales, mais aussi dans l'exploitation d'une mine d'or, dans le pétrole, à l'université, dans la recherche, en particulier dans l'archéologie où elle joue un rôle éminent. Il y a encore beaucoup à découvrir sur la Nubie, ce vaste pays lié à l'Egypte, qui lui a d'ailleurs donné une dynastie de pharaons noirs. Il y a, bien entendu, l'école française et les services de l'ambassade, sans oublier l'antenne de Juba, dans le grand Sud, où la diplomatie se fait sous la tente, et parfois dans la boue.

Loin de Fachoda, loin des armées du Mahdi qui régnèrent quinze ans sur le pays avant d’être défaites par Kitchener, loin de Gordon resté seul dans Khartoum assiégé pour ne pas abandonner ceux qui lui faisaient confiance, et tué à coups de lances sur le seuil de son modeste palais de torchis, nous voilà au centre culturel français. Bâtiment bien fatigué, moyens fort comptés, mais peu importe tant il est plein à toute heure d’une jeunesse avide d’apprendre, avide de se rencontrer, et de parler d’autre chose que des angoisses du présent. Et quand il annexe la rue qui le borde pour un grand concert en plein air, comme nous l’avons vécu lors de notre passage, là, c’est vraiment la fête !

1 commentaire:

lilette a dit…

A cette jeunesse avide de se rencontrer , désireuse d'ouverture dans un climat difficile, à cette jeunesse digne , francophile (le française est la langue la plus enseignée après l'anglais au Soudan ) peu de réponses ont été apportées ! notre gouvernement s'est enferré dans des considérations politiques , économiques , faisant fi de notre arme bien plus efficace : la francophonie , qui véhicule tant de valeurs; Combien de demandes n'ont pu être satisfaites ... je ne les compterai pas mais la France demeure toujours dans l'imaginaire collectif soudanais la référence .. Une petite marchande de thé pour aider un compatriote à marchander dans le nord Kordofann lançait au commerçant : "ce n'est pas un "khawaja" , c'est un français.
Cette distinction tout à notre honneur semble nous avoir échappé..
Les budgets ont été réduits et le principal poste de diffusion de la francophonie a été supprimé.
Que dire à toute cette population civile avide de savoir ?
On continuera la prochaine fois sur le Dâr Four car le premier terme est polysémique et il est bien à l'origine de tous les problèmes.
A bientôt