jeudi 25 octobre 2007

Lagardère, EADS et la loi salique

Le jeune Arnaud Lagardère s’explique en ce moment dans divers enceintes : l’Assemblée générale d’EADS, l’Autorité des marchés financiers, des commissions parlementaires… Tout ceci ouvre d’intéressants aperçus sur les entrailles du capitalisme au plus haut niveau.

Rappelons que la constitution de ce groupe européen de la défense, de l’aéronautique et de l’espace a été conçue et réalisée au sein du cabinet de Lionel Jospin. La clef de voûte en était la forte personnalité de Jean-Luc Lagardère, industriel de haute volée, certainement sans états d’âmes, mais avec une vision stratégique des intérêts de son entreprise de pointe, Matra, qu’il percevait comme liés aux intérêts de la «maison France» et même de la «maison Europe».

C’est en partant de là que Lionel Jospin, soutenu par Dominique Strauss-Kahn, a fait le pari de la privatisation du fleuron public qu’était l’Aérospatiale et de sa fusion dans un grand groupe européen, pour l’essentiel franco-allemand (mais dont le siège est aux Pays-Bas, pour des raisons fiscales et autres que je vous laisse deviner). Et l’Etat français, sur la foi des engagements de Jean-Luc Lagardère, a d’avance renoncé à peser sur la gestion du nouveau groupe. EADS est né.

En 2003, Jean-Luc Lagardère meurt à la suite d’une opération de la hanche. Il avait 75 ans. Et son fils Arnaud lui succède à l’âge de 42 ans. On ne connaissait alors à ce jeune homme aucun talent particulier. On n’en a pas découvert depuis. Il aime le sport, et surtout le tennis. Il s'intéresse beaucoup plus à la dernière passion de son père, la presse et les médias, qu'à l'aéronautique, l'espace et la défense. Voilà pourtant l'homme qui pèse, dans une mesure non négligeable, sur l'avenir de notre pays et de l'Europe dans des secteurs stratégiques.

Inutile de raconter les catastrophes qui ont suivi. Ce qui est intéressant en cette affaire est de voir que des enjeux d'un tel niveau, dans des sociétés aussi développées, aussi sophistiquées que les nôtres, se trouvent soumis aux aléas de circonstances remontant à la nuit des temps : la maladie, la mort subite, l'application d'une loi gothique comme la loi salique en matière de succession.

Et encore, dans beaucoup de sociétés primitives, ou même de sociétés traditionnelles contemporaines, les successions s'organisent à l'avance, et l'on choisit dans l'entourage du chef, même si le lien du sang est parfois fort ténu, voire inexistant, celui qui est collectivement jugé le plus apte à lui succéder. Ce qui fonctionne au fond de la jungle birmane, ou pour le royaume d'Arabie saoudite, ne peut donc pas s’appliquer à la tête d’une entreprise de pointe comme EADS? Où est alors la rationalité du système capitaliste, qu'on nous présente comme un modèle indépassable pour le progrès de nos sociétés?

Et pour la bonne bouche, une intéressante citation d'Arnaud Lagardère, attestée par plusieurs personnes: «C’est quoi l’indépendance en matière de presse ? Du pipeau. Avant de savoir s’ils sont indépendants, les journalistes feraient mieux de savoir si leur journal est pérenne.» Voilà comment l'on en vient à virer Alain Genestar de la direction de Paris Match pour avoir publié des photos de Cécilia en galante compagnie, ou que l'on gomme le disgracieux pneu qui orne le ventre de notre Président lorsqu'il se fait photographier en maillot de bain.

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